Ariettes oubliées L.60
Forgotten Songs
C.Debussy (1885-1887)
C’est l’extase langoureuse
C’est l’extase langoureuse,
C’est la fatigue amoureuse,
C’est tous les frissons des bois
Parmi l’étreinte des brises,
C’est, vers les ramures grises,
Le chœur des petites voix.
Ô le frêle et frais murmure!
Cela gazouille et susurre,
Cela ressemble au cri doux
Que l’herbe agitée expire …
Tu dirais, sous l’eau qui vire,
Le roulis sourd des cailloux.
Cette âme qui se lamente
En cette plainte dormante
C’est la nôtre, n’est-ce pas?
La mienne, dis, et la tienne,
Dont s’exhale l’humble antienne
Par ce tiède soir, tout bas?
Il pleure dans mon cœur
Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville;
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur?
Ô bruit doux de la pluie
Par terre et sur les toits!
Pour un cœur qui s’ennuie
Ô le bruit de la pluie!
Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s’écœure.
Quoi! nulle trahison? …
Ce deuil est sans raison.
C’est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine,
Mon cœur a tant de peine.
L’ombre des arbes
L’ombre des arbres
dans la rivière embrumée
Meurt comme de la fumée
Tandis qu’en l’air,
parmi les ramures réelles,
se plaignent les tourterelles.
Combien, ô voyageur, ce paysage blême
Te mira blême toi-même,
Et que tristes pleuraient dans
les hautes feuillées
Tes espérances noyées!
Green
Voici des fruits, des fleurs,
des feuilles et des branches
Et puis voici mon cœur
qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas
avec vos deux mains blanches
Et qu’à vos yeux si beaux
l’humble présent soit doux.
J’arrive tout couvert encore de rosée
Que le vent du matin
vient glacer à mon front.
Souffrez que ma fatigue
à vos pieds reposée
Rêve des chers instants
qui la délasseront.
Sur votre jeune sein
laissez rouler ma tête
Toute sonore encore
de vos derniers baisers;
Laissez-la s’apaiser de la bonne tempête,
Et que je dorme un peu
puisque vous reposez.
Spleen
Les roses étaient toutes rouges
Et les lierres étaient tout noirs.
Chère, pour peu que tu te bouges,
Renaissent tous mes désespoirs.
Le ciel était trop bleu, trop tendre,
La mer trop verte et l’air trop doux.
Je crains toujours,—ce qu’est d’attendre!—
Quelque fuite atroce de vous.
Du houx à la feuille vernie
Et du luisant buis je suis las,
Et de la campagne infinie
Et de tout, fors de vous, hélas!
It is languorous rapture
It is languorous rapture,
It is amorous fatigue,
It is all the tremors of the forest
In the breezes’ embrace,
It is, around the grey branches,
The choir of tiny voices.
O the delicate, fresh murmuring!
The warbling and whispering,
It is like the soft cry
The ruffled grass gives out …
You might take it for the muffled sound
Of pebbles in the swirling stream.
This soul which grieves
In this subdued lament,
It is ours, is it not?
Mine, and yours too,
Breathing out our humble hymn
On this warm evening, soft and low?
Tears fall in my heart
Tears fall in my heart
As rain falls on the town;
What is this torpor
Pervading my heart?
Ah, the soft sound of rain
On the ground and roofs!
For a listless heart,
Ah, the sound of the rain!
Tears fall without reason
In this disheartened heart.
What! Was there no treason? …
This grief’s without reason.
And the worst pain of all
Must be not to know why
Without love and without hate
My heart feels such pain.
The shadow of the trees
The shadow of trees
in the misty stream
Dies like smoke,
While up above,
in the real branches,
the turtle-doves lament.
How this faded landscape, O traveller,
Watched you yourself fade,
And how sadly in
the lofty leaves
Your drowned hopes were weeping!
Green
Here are fruits, the flowers,
the fronds, and the branches,
And here too is my heart
that beats just for you.
Do not tear it
with your two white hands
And may the humble gift
please your lovely eyes.
I come all covered still with the dew
that the morning breeze
froze to my brow
Let my fatigue,
finding rest at your feet,
Dream of dear moments
that will soothe it.
On your young breast
let me cradle my head
Still ringing with
your recent kisses;
After love’s sweet tumult grant it peace,
And let me sleep a while,
since you rest.
Spleen
All the roses were red
And the ivy was all black.
Dear, at your slightest move,
All my despair revives.
The sky was too blue, too tender,
The sea too green, the air too mild.
I always fear—oh to wait and wonder!—
One of your agonizing departures.
I am weary of the glossy holly,
Of the gleaming box-tree too,
And the boundless countryside
And everything, but you, alas!